23 février 2008
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10:03
Je m’interroge …Ces proches blessés par la vie qui nous sont si chers, écoute-t-on assez leur désarroi ? Comment les aider ? Ils sont si nombreux…
Regardons ce qu’en dit la littérature et particulièrement ce tout nouveau roman
Regardons ce qu’en dit la littérature et particulièrement ce tout nouveau roman
«Emily ou la déraison »
De Jean-Pierre Milovanoff
Chez Grasset
De Jean-Pierre Milovanoff
Chez Grasset
Emily a peur de tout depuis l’enfance. Du facteur qui ouvre le courrier, de l’avion qui s’écrase, des taxis qui kidnappent, des tueurs au cinéma, des poignardeurs dans les ascenseurs. C’est qu’elle a vécu plusieurs chocs superposés, tragédies familiales et tumultes de l’histoire et ne s’en est pas remise, ne s’en remettra jamais. Alors, Emily vogue loin de la raison, protégée par un frère attentionné et doux, bien que lui-même assez fantasque. Dans le très fragile équilibre de sa vie, la folie d’Emily n’est pas de violence incontrôlée, d’apathie, de délires évidents. C’est plutôt une différence entraperçue de temps à autres, un décalage, une inaptitude à éprouver le réel. Bien que chouchoutée par son tendre frère, Emily déraille. Il faut veiller constamment sur elle. Cependant, Emily rencontre l’amour, devient femme, presque « comme les autres ». Las ! Son amoureux s’avère vacillant lui aussi, il se suicide pour une broutille. Elle rencontre alors un autre homme, qui l’aime comme elle est, une île douce au large du continent rationnel… Mais c’est déjà trop tard, elle va s’enfoncer dans la démence sous le regard impuissant de son frère. Avec beaucoup de pudeur, d’élégance, presque de légèreté, Milovanoff relate cette lente descente aux enfers comme un conte cruel, inéluctable, écrit à l’avance par on ne sait quelle fatalité. Il nous donne à lire un roman rose qui est un roman noir, c'est-à-dire un roman russe, ciselé par une plume prodigieusement française. On lit «Emily ou la Déraison » comme on avale un sirop doux-amer, à la fois liquoreux et persistant, un sirop couleur pastel, un sirop parfumé d’une rare affection fraternelle. Devenir écrivain, dit Milovanoff, lui-même fils d’immigré russe chassé par les Soviets, c’est commencer à donner une langue à ce qui en nous était resté silencieux. Ecrire c’est s’aventurer dans un long travail de construction, un peu fataliste, car le destin, la somme des hasards de la vie, est plus fort que tout. Ce livre est sa propre histoire et il ne sauvera pas sa sœur Emilie de la folie. Mais il l’accompagnera tendrement, elle ne sera pas seule, elle n’aura pas peur. Ce n’est déjà pas si mal ! Il faudrait, pour nos proches blessés avoir la même lucidité et la même présence douce. L’archipel des déraisons serait moins effrayant, pour eux, pour nous.